Alain Niava, le miroir de la Haute Couture en Côte d'Ivoire |
Ingénieur informaticien (analyste programmeur), comment s’est déterminé
votre choix pour la mode ?
La mode a toujours fait partie de
mon éducation, mon environnement et de mon quotidien. En ce sens que ma mère
qui est professeur de couture a initié tous ses enfants à ce métier. Ce, pour
la simple raison qu’elle cousait pour ses enfants. Nous étions donc habillés
par elle. Plutôt que d’aller nous amuser et avoir d’autres activités
récréatives, comme tous les autres enfants, nous avions pour tâche de faire les
ourlets, monter les boutons pour faire la finition de nos habits. Ces vêtements
allaient servir pour les fêtes de fin d’année ou pour aller à l’école. C’est
avec un réel engouement que nous exécutions ces tâches. Parce que c’était une
activité passionnante qui sortait du cadre commun. Ainsi, tous les enfants
travaillaient avec autant de passion pour pouvoir arriver à la finition d’un
vêtement.
On peut donc supposer que vous êtes un enfant de la mode…
Dans ma famille, je ne suis pas
le seul à avoir travaillé dans le domaine de la mode. J’ai des aînés qui ont eu
des structures de mode et qui ont été amenés à abandonner à cause de leur
travail. Cependant, ils y reviennent avec joie lorsqu’ils ont le temps.
Ce qui signifierait que la famille vous a sans doute accompagné dans
votre choix…
Entre travailler à la maison en
tant que hobby et embrasser le métier comme une profession, il y a un grand
fossé. Cependant, il faut préciser que bien qu’il y ait eu des inquiétudes de
la part de la famille, il n’y a pas eu du tout de réticences.
Quel a été l’apport de votre formation de base dans la couture ?
Je suis effectivement
informaticien. Sorti de l’ex-Inset de Yamoussoukro qui est actuellement
l’Inphb. Bien qu’étant à l’Inset, j’ai continué d’être dans la mode. Puisque
j’habillais mes condisciples. C’est une passion que j’ai nourri au fil des
années. Particulièrement l’informatique m’a apporté l’organisation, la
structure de l’entreprise et une certaine vision du monde. Ce qui m’a permis de
paraître organisé et bien structuré au niveau de la clientèle. Même dans le
travail, nous nous rendons compte que la gestion informatique intervient
énormément. L’informatique compte à peu près pour 80% dans la gestion de la
clientèle, du personnel et des tâches.
Quels conseils pouvez-vous donner sur l’importance de l’informatique
dans la mode ?
Le conseil que j’aurai à donner à
tous ceux qui embrassent une profession tertiaire et plus particulièrement la
mode, c’est qu’il puisse faire eux-même une initiation à l’informatique. Cela
va leur donner un bagage pratique nettement plus intéressant et
multidimensionnel. Au niveau de la gestion, ils pourront avoir une tâche plus
aisée. En ce qui concerne la programmation des tâches en atelier, ce sera
encore plus facile. S’agissant de la création, ils pourront faire des dessins
assistés par ordinateur. Et au niveau de la gestion du personnel, ils auront
encore moins de fil à retordre.
Plus de 50 ans après les indépendances que pensez-vous de l’évolution
de la mode ivoirienne ?
La mode ivoirienne suit son
chemin. L’on a l’habitude de dire que Dieu écrit droit sur des lignes courbes.
C’est de la même manière que la mode ivoirienne continue son chemin en écrivant
sur des lignes courbes. Malgré les périodes de crise et de récession
économique, la mode africaine s’affiche et s’affirme. A ce jour, la Côte
d’Ivoire est le pôle de la couture africaine. Parce que tout azimut, vous
trouvez des créateurs, des magasins d’étoffes et des petits tailleurs alignés
en bande. Chacun y trouve son compte, les modèles fleuristes et la créativité
est de mise. Assurément dans une dizaine d’années, la Côte d’Ivoire sera le
pôle mondial de la créativité vestimentaire. Parce que nos jeunes qui sortent
sont pétris de talents. C’est comme si Dieu avait déposé le centre de la
créativité vestimentaire en Côte d’Ivoire.
Quel est la part de la mode dans l’économie ivoirienne ?
Vous savez que c’est un secteur
tertiaire qui n’est pas très bien organisé et qui est mal défini. Je ne saurai
vous donner de chiffres exacts. Cependant, on s’aperçoit que les enfants qui se
sont orientés vers les métiers de la couture, ont monté des structures qui
tiennent. Et qui génèrent des richesses. A ce jour, sans chiffres exacts, je
peux dire que la couture, la mode a créé à peu près 30% des richesses dans
l’économie ivoirienne.
Où en est Alain Niava avec sa griffe « Alleen’s wear » ?
« Alleen’s wear » est une
déclinaison d’Alain Niava anglicisé à ma façon. "Alleen’s wear" a
nettement évolué. En ce sens qu’elle s’est départagée en "Alleen’s
bag" qui est la déclinaison maroquinerie. "Alleen’s wear" s’est déclinée
également en "Alleen’s shirts", "Alleen’s Shoes",
"Alleen’s weeding", "Alleen’s purse". Nous avons
différents départements qui sont intégrés dans la ligne globale "Alleen’s
wear". La griffe se porte bien. Depuis l’aube de la crise, nous avons pris
une option. A savoir, travailler pour le corporate. Cela veut dire tout
simplement travailler pour les entreprises. Nous créons des vêtements que nous
proposons aux entreprises pour leur permettre d’avoir un dress-code. Une
manière de s’habiller uniforme de tous les employés d’une entreprise. Ce qui
permet d’afficher une qualité vestimentaire et une image de marque de la
société. Nous avons commencé par habiller timidement les banques, aujourd’hui,
ce sont les compagnies aériennes qui s’y mettent avec les compagnies
d’assurances et les grandes écoles. C’est notre nouveau fer de lance.
Quelles sont les grandes dates qui ont marqué votre carrière?
Je vais mon petit bonhomme de
chemin. L’Espagne a été un tournant de ma vie en ce sens que nous (un pool de
styliste) avons été invités par la Reine d’Espagne pour pouvoir présenter les
collections ivoiriennes. J’y ai établi une demeure par amour parce que
l’Espagne à un certain moment m’a souri. C’est comme cela que j’y ai séjourné
un peu plus de 5 ans, à proposer mes collections, à vendre et à participer au
quotidien à la vie de l’Espagne. C’est ainsi également que j’ai pu présenter
des collections en Allemagne et en Norvège en 2006. Ce fut une grande tournée
(Allemagne, Norvège, France et Espagne). Le 30 novembre 2006 est la date qui m’a
le plus marqué dans la vie. Elle correspond à la présentation de ma première
collection de maroquinerie qui s’appelait « cuir et pagne » sous le parrainage
de Mme Thérèse Houphouët-Boigny, à l’Hôtel Ivoire. Cette collection a connu un
franc succès. Cela a été le départ des lignes de collection "Alleen’s
Bag".
Quels sont vos rapports avec les autres stylistes modélistes ?
Mes confrères et moi avions des
rapports très cordiaux. Autant dans l’ancienne génération que la nouvelle. Je
voue un respect énorme à celui que nous appelons tous papa Pathé’O. Qui est
l’un des précurseurs de la mode ivoirienne. J’ai également de très bons
rapports avec Miss Zahui, Angybell, Gilles Touré qui font partie plus ou moins
de la grande vague des précurseurs de la couture et de la mode ivoirienne. J’ai
également de bons rapports avec ceux que j’appelle les créateurs contemporains.
Et qui sont en vogue en ce moment. Ce sont Eloi Sessou, Patrick Asso, Ciss
Saint Moïse, Habib Sangaré. Ensemble, nous faisons partie de l’association des
créateurs de mode et couturiers de Côte d’Ivoire. Nous nous rencontrons très
souvent. Par rapport aux fêtes de fin d’année, nous sortons d’un dîner de
rencontre où nous avons exposé nos problèmes. Nous avons jeté les bases des
nouvelles collaborations pour le futur et déterminer les objectifs du bureau de
notre association. Avec la génération montante, j’ai également des rapports
francs et très cordiaux dans la mesure où je fais partie de l’Ong Yéhé pilotée
par Miss Zahui. Où je suis chargé de la formation des jeunes créateurs. Donc,
il n’est pas rare de les voir venir chez moi pour des séances de formations et
des conseils. Ou même pour m’aider à travailler et à finir mes collections.
Quels conseils pouvez-vous donner aux jeunes qui veulent embrasser
cette carrière ?
A ces jeunes, je dirai de se
retenir et voir véritablement si c’est le métier qu’ils ont choisi. Car, c’est
un métier passionnant mais difficile. En ce sens que lorsqu’on n’est pas bien
organisé et qu’on n’a pas le talent, on ne peut pas avancer dans ce métier. Il
faut impérativement qu’ils s’approchent des aînés pour pouvoir éveiller leur
fibre créatrice. Il faut qu’ils décèlent en eux leur talent et décident
véritablement de leur orientation. Pour cela, il faut qu’ils puissent rentrer
dans une école pour être formés. Quand je parle de formation, il faut qu’ils
soient sûrs d’avoir au moins le baccalauréat. Et ensuite poursuivre pour
atteindre un niveau Bac+2, Bac+4 ou Bac+5. Cela leur permettra dans l’exercice
du métier d’avoir une bonne compréhension pour pouvoir évoluer sainement et
tirer leur épingle du jeu. Si ce n’est pas cela, il leur sera difficile
d’arriver à convaincre. Qu’ils sachent que quelqu’un qui ne sait pas convaincre
est voué à l’échec.
Entretien réalisé par CHEICKNA D. Salif
(In Fratmat.info)
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