mardi 3 janvier 2017

Côte d’Ivoire : Le réveil de l’Éléphant, creuset de l’intégration sous-régionale

Mai 1983. Bouaké deuxième ville de la Côte d'Ivoire. Dans cette agglomération cosmopolite se côtoient dans les quartiers au noms révélateurs (Sokoura, Dares-salam, Djanmourou, Kôkô, Belleville...) des populations ivoiriennes et de la sous-région ouest africaine. Élève au cours moyen 2ème (Cm2) année à cette époque, le jeune Salia Barry qui prépare activement son Certificat d'étude primaire élémentaire (Cepe) ne s'imaginait pas que le cours de l'histoire allait profondément modifier les relations entre les différentes communautés. Lui qui s'est senti toujours dans la peau d'un Ivoirien bon teint avec les autres enfants de son établissement de l’École primaire privée protestante de Sokoura. À l'école, il a appris l'Abidjanaise, se l'a approprié et n'a entendu parler d'autres hymnes nationaux à part l’Abidjanaise que la Marseillaise, l'hymne de la République française. "L’orchestre de la fraternité ivoirienne (Ofi)" À l'heure de l'élaboration des dossiers pour l'examen du Cepe et du concours d’entrée en 6ème, comme tous les autres impétrants, il remplit sa demande de candidature adressée à l'inspecteur de l'enseignement primaire, Monsieur Django. Nom célèbre à Bouaké. Ce monsieur, imposant par sa stature a marqué les élèves lors des inspections par ses questions pièges qui visaient à développer chez l'apprenant un esprit de raisonnement logique. "Quelle est la couleur du cheval blanc du maire Djibo Soungalo ?" Djibo Soungalo, c'est le nom du maire de Bouaké qui a marqué la ville de par sa longévité à la tête de la deuxième ville de la Côte d'Ivoire. À son actif, le carnaval de Bouaké marqué par l'élection miss, le défilé des forces vives, le bal masqué à la piscine municipale animé par l'Orchestre de la fraternité ivoirienne (Ofi). Et la fin des festivités avec Papa carnaval qui est brulé au stade municipal de la ville. L'on se rappelle encore de quelques chansons de l'Ofi qui demeure de grands classiques pour de nombreuses personnes de cette époque. "Bouaké ! Et sa piscine ! Ces belles rues bien éclairées !" sur des airs de rumba. Une époque nostalgique où des jeunes adolescents arpentent les rues de la ville pour suivre le parcours des chars des forces vives. Parfois, ils s'adonnent à des jeux d'adresse où avec des pierres, en toute naïveté ils s'en prenaient au trio gagnants, la miss et ses dauphines. Drapées aux couleurs nationales (Orange, blanc, vert), elles offraient un spectacle au public qui observait, sous des éclats de vivats et d’applaudissement, leurs maillots de bain à travers le mouvement papillonné de leurs capes. Cautoclo Sidonie, l’une des miss carnaval les plus célèbres (1988), élève au collège Charles De Gaule à l'époque s'en souvient sans nul doute. À l'annonce des résultats de l’examen du Cepe et du concours d'entrée en sixième, le jeune Barry qui a composé sous le numéro 1949 est admis à la fois au Cepe et à l'entrée en 6ème. Dans la constitution des dossiers, il faut souligner qu'outre la demande précitée, figurait l'extrait d'acte de naissance. Né à Abidjan sous le régime du droit de sol, le jeune collégien intègre le Collège d'enseignement général (Ceg) Martin Luther King de Bouaké avec de nombreux condisciples dont Ferdinand Kouassi dit Watchard Kedjebo, Guy Tressia et bien d’autres compagnons d’enfance. Boursier de l’État, il se souvient encore des 12000 FCFA perçues trimestriellement. Dans un parcours sans faute jusqu'en classe de 3ème, il obtiendra le Bepc et sera orienté au lycée moderne de Béoumi. Le document qui atteste que son détenteurs a acquis la nationalité ivoirienne par déclaration conformement à l'article 2 de la loi N°2013-653 du 13 septembre 2013« Première carte nationale d’identité » Pour la constitution des dossiers pour le baccalauréat le jeune Barry informe son père qu’outre la carte scolaire, il est exigé la carte nationale d’identité dont l’octroie nécessitait le certificat de nationalité ivoirienne. Né sous le régime du droit de sol comme indiqué plus haut, le géniteur obtient le précieux sésame qui a permis à son fils de confectionner sa carte nationale d’identité - de couleur jaune - à la sous-préfecture de Béoumi. L’obtention de son baccalauréat coïncide avec les périodes, chaudes de la Côte d’Ivoire, résultantes de la conférence de la Baule, où le multipartisme et les conférences nationales souveraine se sont emparés de la plupart des pays africains au nom de la démocratie. A l’instar de nombreux jeunes ivoiriens et de la sous-région résidant en Côte d’Ivoire qui fuyant le goulot d’étranglement qu’était le baccalauréat probatoire institué en classe de première, Barry va se retrouver au Burkina Faso du fait du coût moins élevé des études. Emprunter cette voie lui paraissait la chose la plus normale. Bardé de son baccalauréat voici notre jeune élève, fils d’immigré de père et de mère, eux mêmes descendants d'immigrés en Côte d’Ivoire, qui après avoir déposé ses bagages chez d’autres jeunes ivoiriens, arrivé un peu plus tôt qui débarque à la scolarité l’université de Ouagadougou. Pour son inscription, il apprend qu’il devra débourser la somme de 25.000 FCFA, montant que devrait payer les non-nationaux pour accéder à l’Université de Ouagadougou. Avec cette première sortie du territoire ivoirien, il découvre avec stupéfaction cette restriction qui a cours dans l’espace de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao). Inscrit à l’ISN-CBG (institut des sciences naturelles et de chimie biologie et géologie), il prendra les cours jusqu’au premier partiel où il obtient le Dues1 (Diplôme universitaire d’études scientifique, première année). Cette période coïncide avec de nombreuses tentatives de coup d’État au Burkina Faso où un dimanche matin au réveil, les médias annoncent l’assassinat à la grenade devant les feux tricolores de l’hôtel indépendance, à Ouagadougou d’un de ses professeurs Clément Oumarou Ouédraogo en rupture de ban avec le Président Blaise Compaoré. Pris de peur et informé que les choses rentraient dans l’ordre sur le campus universitaire d’Abidjan, il va regagner le bercail. Par ailleurs, il est informé que les inscriptions ont démarré à Abidjan et qu’il a été orienté à la Faculté des sciences et technologies (Fast) dans le département des Maths-physiques. Quelques jours plus tard l’aventurier de Ouagadougou regagne les bords de la lagune ébrié et s’inscrit à l’université d’Abidjan. Il est boursier et obtient une chambre double à la cité universitaire de Mermoz. Parcours à la fois tumultueux que tranquille qui l’ont conduit après la licence en mathématiques à la faculté des sciences économie et de gestion pour enfin retrouver son chemin dans le domaine de la communication. « L’apatride ! » Entre temps, les choses ont nettement évolué en Côte d’Ivoire. Au moment où survient le coup d’État militaire de décembre 1999, Barry jouissait toujours de sa nationalité ivoirienne. Et patatras ! De 2000 en 2011, près d’une décennie environ, l’enfer va s’abattre sur cette catégorie d’Ivoiriens quelque fois qualifiés d’Ivoiriens de circonstance. Pour échapper à l’apatridie, il fallait pour eux user de subterfuges et attendre qu’une nouvelle ère sonne. Les accords de Linas Marcoussis (24 janvier 2003) qui résultent de la crise identitaire qui a enrhumé la Côte d’Ivoire avait préconisé de régler cette situation. « Le gouvernement de réconciliation nationale déposera, à titre exceptionnel dans un délai de six (6) mois un projet de loi de naturalisation visant à régler de façon simple et accessible des questions aujourd’hui bloquées et renvoyées au droit commun (notamment cas des anciens bénéficiaires des articles 17 à 23 de la loi 61-415 abrogés par la loi 72-852 et des personnes résidant en Côte d’Ivoire avant le 7 août 1960 et n’ayant pas exercé leur droit d’option dans les délais prescrits), et à compléter le texte existant par l’intégration de l’article 12 nouveau des hommes étrangers mariés à des ivoiriennes », avaient préconisé ces accords. « Les questions renvoyées au droit commun régler de façon simple » De balbutiements en balbutiements, toutes les tentatives pour y aboutir ont échoué. Que ce soit la loi numéro 2004-662 du 17 décembre 2004, portant dispositions spéciales en matière de naturalisation et les décisions n° 2005-04/PR du 15 juillet 2005 et n°2005-10/PR du 29 août 2005, après une médiation d’experts internationaux, les choses n'ont nullement évoluées. Les archives du ministère ivoirien de la justice dévoilent qu’aucune situation n’a été régularisée malgré les dispositions précitées. Il fallait attendre l’avènement d’un nouveau pouvoir à Abidjan et un nouveau texte de loi adopté en septembre 2013. La loi n°2013 du 13 septembre 2013, portant dispositions particulières en matière d'acquisition de la nationalité ivoirienne. Ce, pour « régler de façon simple et accessible des questions aujourd’hui bloquées et renvoyées au droit commun ». Désormais Barry jouit pleinement de la nationalité ou encore du lien juridique qui le lie à la Côte d’Ivoire et des droits y afférents tout comme ses progénitures. Terre d’immigration depuis la colonisation française, l’histoire de la Côte d’Ivoire est celle d’un Etat où l’expérimentation de l’intégration sous-régionale a connu des hauts et des bas. Pour en fin sonner le réveil de ce pays, locomotive de la sous-région où continuent de vivre dans la cohésion les communautés issues de la sous-région ouest africaine et du monde. CHEICKNA D. Salif salifou.dabou@fratmat.info

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